Le diamant de Minsk

mardi 14 mai 2013, par Franck Garot

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Mon activité professionnelle m’a amené à Moscou (Russie), Chișinău (Moldavie) et Minsk (Biélorussie). Je profite de chaque mission pour passer au moins une soirée dans un club de jazz : Fasching à Stockholm, le 55 Bar à New York, Saxophone à Bangkok, le 44 Jazz Café à Chișinău... Et le Coyote bar de Minsk qui me paraissait idéal pour parler du rock comme arme subversive.

Quand vous quittez le centre ville de Minsk vers l’Est par l’avenue de l’Indépendance, vous tombez sur un étrange bâtiment en forme de diamant : la bibliothèque nationale de Biélorussie. S’il fait nuit, il est animé par un éclairage coloré, mouvant et kitch. Cet édifice ne jurerait pas à Las Vegas. C’est juste à côté que se trouve le Coyote bar où le narrateur assiste à un concert.

Je voulais qu’un chapitre du livre se passe dans une ville de feu l’URSS afin de parler de ce que représentait le Velvet Underground pour Václav Havel ou les groupes contestataires tchèques comme The Plastic People of the Universe.

En 1968, Václav Havel est loin de penser qu’il deviendra président de Tchécoslovaquie. Il passe quelques semaines aux États-Unis où on monte une de ses pièces censurée dans son propre pays. Il en revient avec White Light/White Heat, le deuxième album du Velvet. D’ailleurs, il accueille régulièrement des groupes influencés par le Velvet et Zappa dans sa maison de campagne pour qu’ils puissent se produire lors de concerts secrets. Jouer du rock, et surtout du rock américain, est un acte politique engagé pour ces groupes souvent condamnés, emprisonnés. Pendant les années 70, l’état tchèque mène la lutte contre les artistes « dissidents », notamment contre les groupes de rock trop subversifs à son goût. D’où le procès spectacle qui eut lieu en 1976 contre le plus important d’entre eux, le Plastic People of the Universe. Les membres du groupe furent condamnés jusqu’à 18 mois de prison. Et réaction, Václav Havel et deux autres intellectuels créèrent la Charte 77. En 2010, le Plastic People sonnait encore très Velvet :

The Plastic People of the Universe, V konečcích prstů.

Mon choix s’est porté sur Minsk aussi parce qu’il ne faut pas croire que la censure soit terminée dans l’ex-bloc soviétique. Un groupe punk comme Lyapis Trubetskoy ne peut pas se produire dans son propre pays, la Biélorussie. Le clip suivant a été tourné en Ukraine. Vous y verrez qu’Iggy Pop et Andy Warhol font partie de leur panthéon.

Lyapis Trubetskoy, Lyapis Crew.

Enfin, il est bon de rappeler que 7 des 9 autres candidats à la présidentielle biélorusse de 2010 ont été arrêtés. Et que l’on est toujours sans nouvelles de centaines d’opposants.

Ceci dit, je ne voulais pas réduire la Biélorussie à son dictateur, sa censure. J’y ai rencontré des gens formidables, complexes. Bien sûr, comme dans la majorité des pays de l’Est, la xénophobie et l’homophobie restent enracinées. Bien sûr, les gens évitent d’exprimer d’opinion politique, de parler de corruption, de critiquer l’État. Mais on y vit, on y rit, on y aime. Et il y a cet espoir tenace du peuple qui souhaite plus de liberté, on m’a dit qu’on ne pouvait rien contre, qu’on s’y acheminait, lentement certes, mais inéluctablement. Le diamant de Minsk, c’est son peuple.


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